Les larmes d’Annette
Annette s’est engagée dans un coaching afin d’équilibrer sa vie personnelle et sa vie professionnelles (Work-Life Balance). Elle venait d’accepter de nouvelles responsabilités et craignait que son travail la prive d’un temps précieux auprès de sa famille. Son objectif : améliorer sa capacité à déléguer.
Nous travaillons sur deux axes : oser déléguer davantage, car Annette estime souvent que le travail est fait plus vite si elle s’en occupe elle-même, et communiquer efficacement, car elle perd beaucoup de temps à corriger les maladresses commises par manque d’information ou de clarté.
Tandis que nous définissons l’objectif, Annette explique que sa crainte de se laisser envahir par le travail lui vient de son père, qui était quasi-absent. Elle en vient même à évoquer un manque d’amour. Il ne l’a jamais serrée dans ses bras, et il lui semblait parfois qu’il acceptait des missions loin de la maison pour fuir sa famille. Annette ne semble pas malheureuse lorsqu’elle parle de son père, elle expose froidement «les faits» pour expliquer que malgré tout le respect qu’elle lui doit, elle ne veut pas lui ressembler.
J’explique à Annette qu’elle fait bien de m’en parler, car en coaching, il est important de se référer à des «modèles». En général, on choisit des modèles positifs (qui ont réussi à atteindre l’objectif visé), mais les modèles négatif sont les bienvenus au début d’un coaching afin de poser un regard différent sur les croyances limitantes qu’ils ont laissés. Le dialogue commence :
– Vous avez dit que votre père ne vous aime pas. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?
– Pas de câlins, pas de moments passés ensemble. C’est un minimum non ?
– Pas pour tout le monde.
– Ah bon…
– Vous savez, les papas-câlins, c’est assez nouveau. Votre père a vécu une époque où c’était relativement mal vu. C’était un signe de féminité ou de faiblesse. Même certains psys diagnostiquaient une «déviance» lorsqu’une petite fille sautait sur les genoux de son papa. Vous jugez un père des années 60 avec les paradigmes des années 2000.
– Je vois… C’est comme un homme qui pleure : à l’époque on disait que ce n’était pas un homme ! Aujourd’hui on trouve ça beau, et même «sexy».
– Connaissez-vous la théorie de Gary CHAPMAN sur «les 5 langages de l’Amour» ?
– Non…
– Il parle de la Relation de couple, mais il suffit de le lire autrement pour le transformer en livre sur le Management. L’un des meilleurs que j’ai lus !
– 5 langages ? Je n’en vois pas autant.
– Vous m’en avez déjà cité 2 : le toucher physique et les moments de qualité. Pourriez-vous deviner les autres ?
– Le simple fait de le dire… Mon père ne m’a jamais dit qu’il m’aimait.
– C’est plus subtile que ça, sinon le livre tiendrait en une page, voire en deux lignes. On appelle ça les paroles valorisantes : est-ce que votre père vous encourageait ? Est- qu’il vous disait qu’il était fier de vous ? Est-ce qu’il parlait de vous en termes élogieux ?
– Je ne m’en souviens pas. Mais il n’a jamais été méchant et il ne me dépréciait pas. Quand j’entends certaines histoires, je me dis que c’est déjà ça…
– Voyez-vous un autre moyen d’exprimer l’Amour ?
– Non…
– Gary CHAPMAN réserve tout un chapitre aux cadeaux. Est-ce que votre père vous offrait des cadeaux ?
– Oui, mais c’était protocolaire : j’avais des cadeaux à mon anniversaire et à Noël, et il revenait toujours avec quelque chose pour moi et pour ma mère lorsqu’il partait travailler loin de la maison. Mais je n’ai jamais pris ça pour de l’Amour. Cétait une sorte de Devoir.
– Vous voulez dire que c’était juste un geste ? Comme si il vivait sous le joug de l’expression «c’est l’intention qui compte…» ?
Annette réfléchit. Son visage se détend et sa respiration devient plus lente et plus profonde. Apparemment, elle se remémore quelques souvenirs agréables.
– Ce n’était pas si protocolaire que ça finalement… A chaque fois qu’il m’offrait un cadeau, c’était exactement ce que je voulais ! Même lorsqu’il m’offrait un petit cadeau, c’était quelque chose que je désirais. Je me demande comment il faisait pour deviner… C’est certainement maman qui lui glissait à l’oreille que j’ai flashé sur quelque chose.
– Ou alors, il lui suffisait de vous écouter et de vous observer. Vous savez que l’Amour donne des ailes. C’est comme un sixième sens… Il voit que vous souriez en passant devant une poupée et il l’ajoute à sa «liste d’attentions particulières».
– C’est possible… Mais s’il exprime son amour uniquement en offrant des cadeaux, c’est purement matérialiste.
– Pourquoi ? Lorsqu’on exprime son amour à travers des gestes tendres, c’est purement sexuel ? Vous êtes un peu dure avec les cadeaux !
– C’est vrai… Je ne suis pas très cadeaux. Certainement parce que je me dis que c’est une façon de compenser tout le reste.
– Ça lui fait un point. On revient à nos moutons ?
– Et le cinquième langage ?
– Ah oui… Certaines personnes manifestent leur Amour en rendant service. Ils sont toujours là quand on a besoin d’eux. Ils devancent même les attentes de la personne aimée…
Annette se lève brusquement comme si elle était prise d’un vertige. Visiblement elle a besoin de marcher… Des larmes commencent à couler. Elle veut prendre une pause. J’accepte.
Le processus décrit ci-dessus peut faire penser à une thérapie. Mais tout dépend de l’objectif visé. Je n’avais pas l’intention de réserver plusieurs séances à la relation père-fille. Si cela devait s’éterniser, j’aurais présenté à Annette une thérapeute qui s’occupe en profondeur des non-dits familiaux. Cette démarche parallèle ne l’aurait pas empêchée de poursuivre son coaching. C’est juste une façon de séparer les choses. Mais il me paraissait évident que la difficulté qu’Annette éprouvait lorsqu’elle voulait déléguer, était liée à cette relation. Nous étions donc bien alignés sur l’objectif.
Nous reprenons la séance après 10 minutes. Les yeux d’Annette sont rouges et larmoyants :
– Je suis vraiment confuse. Je ne me laisse pas facilement submerger par l’émotion, sauf quand je suis seule. Mais là je viens d’avoir une révélation !
– Dites-moi…
– Je me suis sentie mal parce que je suis très ingrate envers mon père ! Je croyais vraiment qu’il ne m’aimait pas et qu’il faisait juste son «devoir». Mais j’avais tort ! Lors de mon dernier déménagement il s’est levé aux aurores pour venir nous aider. J’ai beaucoup d’amis qui se sont désistés, mais lui, il était là, avec des croissants en plus ! Et ce n’est pas la première fois. Il a toujours été là pour moi ! Discret, à l’écoute, travailleur… Et comme vous l’avez dit, il devançait mes besoins. Il arrive même à lire en moi des choses que je n’ose pas demander.
– Vous parlez d’un évènement récent. Est-ce qu’on peut remonter plus loin ?…
– Oui : quand j’ai fini mes études et que j’ai commencé à travailler. Il s’est occupé de mon premier déménagement à lui tout seul. J’ai cru qu’il était content de se débarrasser de moi, mais c’est faux ! Il me rendait service… C’était de l’Amour ! Comment j’ai pu le juger aussi mal ?!!!
– Parce que vous aviez besoin d’autres formes d’Amour, et il ne pouvait pas les exprimer.
– Oui mais c’est très bien comme ça ! Tiens, en reparlant de mon premier déménagement, voyant que je n’avais pas de machine à laver il m’a demandé comment j’allais laver mon linge. Je lui ai dit que j’allais le faire à la main, et que ça pouvait attendre un ou deux mois, le temps que mes premiers salaires rentrent. Le lendemain il est venu avec un ami pour m’installer une machine toute neuve ! Et j’ai encore cru que…
Annette se remet à larmoyer, mais cette fois, pas de pause.
– …J’ai encore cru que c’était parce qu’il ne voulait pas que je débarque chez lui avec mon linge ! Je n’ai rien compris… Aujourd’hui je comprends !
Après un silence religieux, Annette reprend ses esprits. Nous retournons vers les objectifs professionnels. Annette revient de temps en temps vers son père, qui devient soudainement un modèle positif : c’est LA personne à qui elle peut tout déléguer en toute Confiance. Elle sait que le travail sera bien fait, et que par Amour plus que par Devoir, il en fera toujours plus. Il lit en elle et il devance ses attentes.
C’est certainement pour cette raison qu’elle a été déçue à maintes reprises lorsqu’elle confiait un travail à quelqu’un. Il manquait un ingrédient mais elle ne savait pas lequel. Aujourd’hui, elle sait ! En l’écoutant parler j’ai l’impression d’entendre une petite fille qui parle de son petit papa chéri… C’est comme si elle retombait en enfance pour dire tout ce qu’elle n’a pas dit. Le contraste est énorme entre le début de la séance et la fin. A un moment je lui suggère :
– Vous devriez écouter la chanson «le plus fort c’est mon père !» de Lynda LEMAY.
– Je la connais, me dit-elle. Elle m’a toujours fait pleurer !
– Bein voilà… Ça nous fera des larmes en moins.
– Oh non… Je ne pense pas… Je vais juste pleurer autrement…
Nous continuons à travailler autour des objectifs qui s’affinent à une vitesse surprenante. Il est rare qu’une première séance soit aussi productive. Or lorsqu’une telle Energie se libère, la réceptivité s’accroit et l’intelligence existentielle accompagne toutes les autres intelligences. Avant de quitter Annette et de fixer un nouveau rendez-vous, je termine par la question classique :
Annette réfléchit, puis avec un joli sourire d’une petite fille de 42 ans elle répond :
Je souris aussi… Elle hésite un instant et me dit :
– Vous vous attendiez à quelque chose de plus pro ?
– Il n’y a pas plus pro !
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A++
Stéphane SOLOMON
PS : Il reste encore quelques places pour le programme «Prenez l’Avantage !».
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Bonsoir Stéphane,
Voilà, je me suis inscrite suite à la lecture de ce compte rendu de coaching. Merci à cet exemple de connexion avec nos façons de penser et d’agir. Avant, je n’étais pas sûre d’en avoir besoin et d’avoir le temps !!!
Alors que je monte une structure nouvelle, toute seule comme une grande, sur un sujet où je ne pense pas qu’il y aie un modèle existant.
C’est pour aller à l’encontre de la théorie et du bla bla, pour plutôt entrainer les créateur de projets vers sa réalité tangible, la matérialité du cahier des charges et l’édition.
Bref, j’ai un grand cahier de prêt et je taille les crayon en attendant le 15, pour que tu m’aides (avec les autres participants) à aller sur les sentiers et les autoroutes qui me mèneront aux bons endroits, dans mes réflexions et la réalité.
A tout bientôt
Véronique
Merci Véronique,
Toujours au taquet et toujours créative à ce que je vois. Oui, tu peux tailler tes crayons, car telle que je te connais, tu vas apprendre beaucoup de choses. Pas parce qu’il y aura beaucoup de matière venant de ma part, mais parce que tu sais transformer une simple étincelle en feu de joie. Ton cahier contiendra davantage de Toi que de moi.
Je t’ai attendue ;-).
A++
Stéphane
Bonjour Stéphane, une bien belle histoire (inspirée de faits réels comme on dit)
Incroyable comme on peut comprendre (interpréter) – ou pas – ou mal – les actions des personnes qui nous entourent
Voir les choses du passé avec les références d’aujourd’hui est effectivement problématique. J’ai souvent eu cette discussion, notamment au niveau de l’éducation. Mettre une baffe à son enfant est considéré contre productif de nos jours alors que ce fut longtemps une réponse que l’on pensait ou croyait appropriée
Très bonne journée. Au plaisir de te lire et à bientôt pour Prendre l’Avantage.
Bonjour Stéphane,
Un très bon cas de coaching, très intéressant, profond, et même émouvant!
Bonjour Stéphane,
Je lis cette histoire et je viens aussi d’écouter ton webinaire “le coaching : pourquoi comment” avec quelques mois de retard, mais peu importe.
Dans le webinaire je croyais comprendre la distinction entre coaching et thérapie, mais avec cette histoire je ne comprend plus !
Pourquoi dis tu que ce qui c’est passé avec Annette n’est pas de la thérapie ?
Elle viens de guérir d’une vielle blessure issue de son passé, non ?
– tu dis que la thérapie c’est pour les questions du passé, et le coaching pour celles d’avenir non ?
– guérir est de l’ordre de la thérapie, non ?
Alors il peut arriver que coaching et thérapie se mélangent, comme la forêt et la rivière, selon les crues, dans les marais, pleins de vies …
Mais tu as choisi cet exemple pour dire qu’il se situe du coté coaching, et non thérapie. Je ne comprend pas pourquoi, cela me surprend, c’est sans doute que j’ai l’opportunité de pouvoir apprendre quelque-chose … (sur moi et/ou sur ton métier).
Je serai attentif à ta réponse 😉
Bonne année et à bientôt.
Xavier
C’est une bonne question Xavier, et ma réponse sera assez simple car il me suffit de copier-coller un article que j’avais écrit préalablement sur Facebook. Je pense qu’il t’éclairera :
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Thérapie ou Coaching ?
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On me demande souvent la différence qui existe entre une thérapie et un coaching. En réalité, il y a peu de points communs. La confusion vient du fait que le coach utilise la psychologie (entre autres) comme outil. Mais voici une petite liste de différences majeures :
– La thérapie soigne les souffrances, le coaching mène vers le mieux-être.
– Une thérapie est souvent accompagnée d’un repos (notamment un arrêt de travail), un coaching encourage la performance personnelle et professionnelle.
– Une thérapie sert à vous équilibrer en fonction de vos BESOINS. Un coaching crée un déséquilibre volontaire pour vous guider
vers vos ENVIES.
– Une thérapie permet de révéler la cause (inconnue) d’une souffrance. Un coaching permet d’enclencher les actions qui mènent vers un résultat connu d’avance (l’objectif).
La liste est longue ! C’est pour cette raison que remplacer une thérapie par un coaching est un véritable non-sens. Il est toutefois possible de suivre les deux à la fois. Le thérapeute s’occupe des blessures du passé, le coach aide à construire l’avenir.
Si le coaching ne remplace pas la thérapie, les dernières études en la matière tendent à prouver qu’un coaching accélère la guérison. C’est comme si une personne souffrant d’une douleur lombaire associait le yoga à la kinésithérapie : la kiné soigne les douleurs, tandis que le yoga crée un nouvel univers de postures équilibrées. La guérison est donc accélérée et la rechute évitée.
Lorsque j’ai débuté dans le coaching et qu’un client fondait en larmes en pleine séance, je l’orientais vers un thérapeute. On ne vient pas voir un coach pour pleurer ! Mais grâce à ma superviseure, j’ai appris que les larmes, même si elles expriment une souffrance, pouvaient être la conséquence de la «guérison spontanée» d’une douleur. Cette douleur étant immédiatement libérée, la thérapie n’est pas nécessaire, mais les larmes sont inévitables.
Je vous raconterai prochainement l’histoire d’une guérison spontanée. Si elle vous intéresse, veuillez vous manifester (like ou commentaire) afin que je m’assure qu’elle ne vous échappera pas lors de sa publication.
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A++
Et il y a aussi cette explication (dans le texte de l’article) :
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Le processus décrit ci-dessus peut faire penser à une thérapie. Mais tout dépend de l’objectif visé. Je n’avais pas l’intention de réserver plusieurs séances à la relation père-fille. Si cela devait s’éterniser, j’aurais présenté à Annette une thérapeute qui s’occupe en profondeur des non-dits familiaux. Cette démarche parallèle ne l’aurait pas empêchée de poursuivre son coaching. C’est juste une façon de séparer les choses. Mais il me paraissait évident que la difficulté qu’Annette éprouvait lorsqu’elle voulait déléguer, était liée à cette relation qui minait ses compétences relationnelles dans son travail. Nous étions donc bien alignés sur l’objectif.
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Cette fois, je n’oublies pas de cocher “prévenez moi …”
Oui je veux bien une autre histoire de toi (on se tutoie non ?)
Tu a bien promis une autre histoire de “guérison” spontanée.
Je crois comprendre …
La guérison est un effet collatéral possible (plausible) d’un moment de coaching
Mais ce serait une erreur d’en faire le but …
Un peu comme ce serait une erreur de chercher à écouter une belle musique en allant au cinéma, bien sur cela peut arriver et se serait dommage de ne pas savoir l’apprécier ; mais si on veut écouter de la musique la première idée serait tout de même d’aller à un concert, ou de prendre le temps d’être attentif à un enregistrement.
Je t’écris par ailleurs par courriel, à bientôt
Xavier