Proximité
Il était une fois dans une banlieue parisienne, un petit cinéma de quartier, qui après avoir vécu ses années de gloire, se vit concurrencer par les multiplexes qui poussaient autour de lui. Un jour, il annonça sa «dernière séance», et donc sa fermeture prochaine.
Aussitôt, les habitants de la ville et des villes avoisinantes décidèrent de sauver leur petit cinéma. Ils fabriquèrent des banderoles, et allèrent défiler dans la rue en criant des slogans. Suite à cette action forte, l’exploitant du cinéma reçut une subvention qui lui permit de poursuivre son activité. Mais il travailla à perte, ne parvenant pas à remplir sa salle. Il afficha encore son intention de tirer sa révérence…
Aussitôt, les banderoles furent agitées, et il obtint une nouvelle subvention. Mais le scenario ne changea pas, car la plupart des manifestants qui étaient prêts à lui réserver des heures de soutien, avaient un comportement étrange : aussitôt les banderoles rangées, ils se précipitaient au multiplexe du coin avec leur petite famille, laissant «aux autres» le soin de remplir la salle de leur cinéma «préféré». Ils ont fait le choix de défendre un cause culturelle, oubliant son aspect commercial.
Parmi ces valeureux guerriers, toujours prêts à livrer bataille pour la bonne cause, il y avait un certain Jacquot : un père de famille très attentionné, toujours prêt à aider son prochain, du moment qu’il lui demandait autre chose que de l’argent. Jacquot fut fort ému lorsqu’il apprit que le cinéma de sa ville a fermé, cette fois, sans préavis. Il versa quelques larmes sur la banderole qu’il avait gardée en prévision, puis il la jeta, trouvant que le monde était vraiment trop injuste. Pour se consoler, il alla manger au Mac Do avec femme et enfants. Sa vue était trop embrumée pour voir le prospectus que le restaurateur du coin avait glissé sous sa porte, ce dimanche matin. Il ne vit la petite feuille qu’au retour :
– Trop tard !, se dit-il. La réduction était pour ce soir, l’offre est terminée…
Ce restaurant, qui était connu tant pour son menu que pour les soirées festives qu’il organisait, avait toujours intrigué Jacquot. Il s’est promis qu’il irait… un jour… Aussi, quelques semaines plus tard, lorsqu’il vit les vitres du local peintes en blanc, et la pancarte «bail à céder», il ne put s’empêcher de penser à ce pauvre restaurateur, dont la vie devait être bien difficile…
Le monde allait mal ! Très mal ! De plus en plus mal…
Vers un nouveau monde
Quelques mois plus tard, jacquot voulut fêter l’anniversaire de sa femme en tête à tête. Il réserva une table dans un restaurant qui venait d’ouvrir à 6 kilomètres de là, et qu’un ami lui avait recommandé. En entrant, il reconnut le restaurateur qui avait quitté sa ville… Il alla le saluer… Celui-ci ne savait pas qui il était, et Jacquot lui expliqua qu’ils étaient voisins quelques semaines plus tôt et qu’il était content de savoir qu’il a su rebondir aussi vite après sa faillite :
– Mais je n’ai pas fait faillite, j’ai juste déménagé dans un endroit où on aime les bon restaurants !
– Ah bon ? Mais on s’inquiétait…
– Qui ça «on» ?
– Bein moi… Et certainement les autres, tous ceux qui aimaient votre restaurant, quoi !
– Mais ceux qui aimaient mon restaurant ont été prévenus… Nous avons fêté la dernière soirée là-bas, ainsi que l’inauguration ici… Ils reviennent manger régulièrement. Regardez autour de vous !
Jacquot ouvrit les yeux… Effectivement, il reconnut quelques uns de ses voisins, ainsi que des personnes qu’il croisait à la gare de sa ville. Désormais, tous ces clients faisaient 6 kilomètres pour aller manger dans leur restaurant préféré, mais une fois les pieds sous la table, ils y étaient bien…
Il alla s’asseoir, et stupéfait, il reconnut à une table voisine l’exploitant du cinéma qui dégustait une mousse au chocolat avec sa femme et ses petits enfants. Il entreprit d’échanger quelques mots :
– Comme je suis content de vous voir, dit Jacquot !
– Pardon Monsieur ?
– Vous ne vous souvenez pas de moi ? Jacquot ! J’ai manifesté pour que vous puissiez sauver votre cinéma !
– Ah oui… Je vous remets ! La plus grande banderole en tête de cortège, c’était vous !
– Eh oui… Je vois que ça va mieux pour vous !
– Comment ça ?
– Entrée, plat, dessert pour tout le monde…
– Mais je me suis toujours permis de bien manger au restaurant !
– Oui mais bon, je suppose qu’après votre fermeture, vous avez morflé !
– Monsieur Jacquot, j’ai 6 autres cinémas en région parisienne, et lorsque j’ai voulu fermer le cinéma de votre ville, c’était pour m’associer avec un ami qui venait d’acheter sa salle au quartier latin, là où on aime les petits cinémas. Mais Lorsque j’ai vu tous ces gens manifester pour sauver leur cinéma, j’ai dit NON à mon ami.
– Mais vous aviez l’air si impliqué…
– Très impliqué ! J’ai pleuré en fermant… Je m’étais fait pour mission de sauver ce lieu culturel chargé d’histoire, mais je ne pouvais pas agir contre vous !
– Comment ça contre moi ?
– Vous ne manifestiez pas pour sauver votre cinéma, mais le mien ! Vous vouliez sauver ma «petite retraite» au lieu de conserver une valeur culturelle … Vous préfériez défiler dans la rue plutôt que dans ma salle. Lorsque je l’ai compris, j’ai décidé de partir discrètement. Je suis allé me rendre utile ailleurs, là où on a vraiment besoin de moi.
Jacquot n’insista pas. Il comprit son erreur, sa double erreur… Après le dîner, il s’arrêta au centre-ville pour acheter des fleurs à sa femme. Il entra chez la fleuriste qui s’apprêtait à fermer, mais qui remit son tablier en le voyant. Il choisit un très beau bouquet et paya la commerçante avec le sourire. Il sortit, puis il entra à nouveau :
– Vous avez besoin d’autre chose ? Demanda la commerçante.
– Oui, lui dit-il, j’ai besoin de vous dire MERCI
– Mais vous m’avez déjà dit merci en partant.
– Je vous ai dit merci pour les fleurs, mais j’ai oublié de vous dire «merci d’être là !»…
– Eh bien, ça fait plaisir !
– J’ai toujours cru que vous ouvriez le lundi parce que vos affaires allaient mal, ou parce que c’était un moyen de piquer des clients à vos concurrents. Mais aujourd’hui; je m’autorise à penser que si vous faites nocturne, spécialement ce soir, c’est pour être utile à des gens comme moi, qui ont besoin de fleurs le lundi soir.
– Heureusement qu’il y a des gens comme vous, monsieur ! Lui dit la fleuriste avec un sourire tremblant.
Il ressortit et se dirigea vers sa voiture. Il ouvrit la portière et offrit le bouquet à sa femme.
– Eh bien ! C’est ma fête aujourd’hui ! Lui dit-elle avec une certaine émotion dans le regard et dans la voix
– Oui, lui dit-il, j’ai compris quelque chose d’important.
– Explique-moi…
– J’ai remarqué que beaucoup de gens que j’aimais ou que j’appréciais, disparaissaient sans laisser d’adresse. Ca me rend malheureux, alors je les crois malheureux eux aussi. Mais en réalité, ils partent parce que je ne leur donne pas une vraie place dans ma vie. Ils vont simplement se rendre utiles ailleurs, me laissant dans mon petit monde, et faisant grandir le leur…
Jacquot rassembla ses forces pour finir sa phrase :
– Je sais que tu as souvent eu envie de partir, et je croyais que tu restais parce que tu n’avais pas le choix. Que tu continuais pour les enfants ou pour la maison. Aujourd’hui j’ai compris que c’est pour moi que tu restes. Merci… Merci d’exister dans ma vie… Je t’aime !
A++
Stéphane SOLOMON
Bonjour Stéphane,
Merci pour cette très belle histoire à méditer dans notre vie de tous les jours, le regard grand ouvert sur ce qui nous entoure et la façon dont nous y participons.
On a toujours besoin d’ouvrir les yeux un peu plus, de capter la réalité, et de se poser les bonnes questions…
Donc merci de nous réveiller un peu plus à chaque article.
Marie-Pierre
Un belle histoire ….à méditer
A bientôt
GD