Histoire d’un burnout (2/2)

Avant de lire cet article, je vous invite à lire la première partie en cliquant ici.



Les parents de Bernard ont toujours été très investis dans la vie associative. Accompagnés de leurs trois enfants, ils donnaient de leur temps et de leur savoir-faire dès qu’ils en avaient l’occasion. Bernard a été bercé dans cet environnement et dès son plus jeune âge, il éprouvait une satisfaction intérieure dès qu’il pouvait se rendre utile. Petit, il participait à la manutention lors de l’installation de stands, distribuait des tracts pour des évènements et, comble de joie, il pouvait parfois tenir la buvette ! Il tenait ces rôles très à cœur et était très apprécié par les organisateurs.

Bernard a toujours gardé cet esprit bénévole. 2 ans avant son licenciement, lorsqu’il a commencé à trouver son travail pesant, il s’est investi au sein d’une association dont la mission lui tenait à cœur. Celle-ci venait de bénéficier de nouveaux locaux qu’il fallait entièrement rénover : c’était parfait pour Bernard ! Ayant à la fois les compétences et la vocation pour faire de cet endroit une permanence agréable, il a proposé ses services gratuitement.

Tout ce qu’il ne trouvait plus dans son travail, pouvait enfin s’exprimer. Comme à son habitude, avec une énergie débordante, il a donné de son temps, et de son énergie pour magnifier cet endroit et relever le challenge qu’il s’était fixé. À chaque étape, une merveilleuse sensation d’accomplissement l’habitait : il était heureux ! Heureux de contribuer à un beau projet associatif. S’il s’éteignait dans son travail, il savait qu’il pouvait exister autrement. Il était partant pour d’autres projets du même type.

Contre toute attente, quelques semaines après, Bernard a pourtant perdu ce qui continuait de l’animer au plus profond de son âme. Ce fut lors de l’inauguration des locaux qu’il venait de restaurer. Après la présentation des nouveaux membres du bureau et des projets de l’association, le Président a gratifié les membres contributeurs. Si les mécènes et les donateurs ont été tous cités, pas un mot n’a été prononcé sur le travail bénévole de Bernard. D’abord surpris par ce manque d’égard, il commença à sentir que cette injustice le blessait profondément. La soirée avait soudainement perdu de son éclat…

Le lendemain il en fit part au Trésorier de l’Association, histoire de relever la tête dans un cadre plus confidentiel. Il fut surpris par la réponse de cet homme qu’il ne connaissait pas vraiment, mais qu’il respectait profondément :

  • Bernard, il y a des gens qui se tuent à la tâche chaque jour ! Ils se lèvent la boule au ventre pour aller faire un travail qu’ils ne supportent pas. Vous avez la chance d’aimer votre métier, et vous vous êtes éclaté en rénovant ces locaux ! Beaucoup de choses que vous avez faites n’étaient pas indispensables, et nous vous avons laissé faire parce que nous ne voulions pas vous freiner dans votre élan. Les personnes que nous avons gratifiées sont celle qui ont fait un véritable effort, je dirais même un sacrifice : certaines se sont même privées de leurs vacances pour faire un don.
  • Mais bien sûr qu’il y a eu effort ! Je vous ai consacré presque tous mes week-ends ! Le jour où ma voiture est tombée en panne, j’ai pris un taxi pour venir travailler parce que la météo allait se gâter le lendemain et il fallait faire vite. Beaucoup de petites fournitures qui étaient nécessaires aux travaux viennent de mon stock personnel, et ça représente plusieurs centaines d’euros. Il y a eu aussi le concours de danse de ma fille que j’ai raté parce que je m’étais engagé auprès de vous pour finir dans un délai très court… Même si j’ai aimé ce chantier, bien sûr qu’il y a eu effort ! Je n’ai rien montré et je ne me plains jamais, mais je pense mériter quelques remerciements…
  • Votre mérite venait justement du fait que vous faisiez tout cela avec cœur et courage, sans jamais rien réclamer. Mais si vous aviez l’ambition de vous voir gratifié publiquement, ou pire, de trouver des clients dans l’assistance, alors vous n’avez plus aucun mérite !
  • Pas un seul jour je n’ai pensé à tirer un bénéfice du don que je faisais et je ne me projetais pas sous les bravos… Mais lorsque j’ai vu toutes ces personnes gratifiées hier, j’ai eu un pincement au cœur de ne pas avoir été considéré comme un donateur moi aussi. Si je vous avais facturé mon travail et fait don de la somme perçue, j’aurais été cité comme le plus généreux donateur de l’année !
  • Eh bien c’est ce que vous auriez dû faire, au lieu de nous faire croire que votre cœur était empli d’amour. Vous venez de transformer l’amour en argent, et je suis profondément déçu ! Je ne connaissais pas cet aspect de votre personnalité !

Bernard sentit que tout ce qu’il lui restait à dire, allait être retenu contre lui. Il quitta les lieux et plongea dans le mutisme. Même en famille ce sujet (et tout ce qui avait trait au bénévolat) était devenu tabou… Au travail, c’était de pire en pire ! Il ne supportait plus ses collègues qui bâclaient leurs travaux. Pourtant, il en vint à se demander si ce n’était pas eux qui avaient raison : après tout, pourquoi donner le meilleur de soi, puisque personne ne voit l’effort consenti. Quant au bonheur exprimé suite à un travail plaisant, il risquait d’être interprété comme une récompense, et soustrait des éventuelles primes, qui n’étaient consenties qu’en contrepartie de la peine.

Torturé, et bien que fatigué, il avait le sommeil agité et devait compter un nombre infini de moutons pour sombrer de courts instants dans les bras de Morphée. Ses pensées vagabondaient sans qu’il puisse en saisir l’essence même… Ni triste, ni joyeux, ni blanc, ni noir : plus rien n’avait vraiment de saveur, ni même d’importance.

C’est quand il a recommencé à fumer après toutes ces années où il a su se contenir, qu’il a commencé à s’interroger sur son parcours. Il a fait défiler sa vie et plus particulièrement les derniers mois écoulés jusqu’à cette prise de conscience douloureuse qu’il était un tout autre homme. Il avait perdu une part de son identité dans ce dialogue avec le Trésorier… Par Chance, il lisait parfois quelques articles de magazines dans lesquels on évoquait la progression d’un burnout, la façon dont les pervers narcissiques opèrent pour détruire la personnalité de leurs victimes, et surtout, la Responsabilité que nous avons vis-à-vis de ces merveilles que l’on peut capter dès les premiers jours de notre naissance (et peut-être avant) : les Valeurs.

Si Bernard ne savait précisément ce qui se jouait en lui, il était convaincu qu’il lui fallait être accompagné pour retrouver son intégrité. Lors des licenciements massifs de l’entreprise où il était employé, parmi les nombreuses prestations qui étaient proposées dans le Plan Social, il y avait du Coaching. Bernard fut l’un des rares à choisir cette voie. Séance après séance, il a compris que lors de la discussion avec le Trésorier, il a perdu quelque chose de précieux : la capacité de donner sans attente de retour… Les mots de son interlocuteur, particulièrement accusateurs, ont contribué à ce naufrage. Depuis cet évènement, à chaque fois que la vie l’invitait à faire don de son talent, il revivait ce dialogue particulièrement blessant, et il  perdait toute motivation.

Mais sa coache a su lui expliquer que ce dialogue n’était pas vain et qu’il y avait forcément, au moment du naufrage, une bouée de secours qui a été lancée par son subconscient. Cette bouée, il n’a pas su la saisir sur le moment, mais il pouvait le faire à a postériori pour refaire surface. Bernard a choisi comme bouée, l’idée qu’il avait émise pendant la discussion : il pouvait facturer ses prestations auprès d’associations (à un tarif défiant toute concurrence), puis faire don du fruit de ce travail en fin de mission. Après avoir vécu deux expériences en appliquant cette procédure sur des chantiers beaucoup moins importants que celui qui l’a mis à terre, il fut surpris de se voir cité et présenté à la fois comme donateur ET comme bénévole…

À la lecture de la fin de l’histoire de Bernard, où en êtes vous de votre questionnement à propos de vos valeurs ? 


Isabelle

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