Le sourire du Printemps

Lundi matin, mes filles sont arrivées en retard à l’école. Ce n’était pas bien grave, elles ont attendu devant la grille fermée, regardant les classes se former, file après file, et disparaître dans le bâtiment. Cinq minutes plus tard, on leur a ouvert la grille et elles ont traversé la cour à pas de course, sous le regard sévère de la directrice. Ma fille cadette s’est mise à pleurer. Elle sanglotait tout en courant, manquant de tomber plusieurs fois. Sa maîtresse m’a dit qu’elle a mis plus de 20 minutes à la consoler (pénalisant ainsi toute la classe)… Evidemment, je suis responsable de la situation ! Mes filles n’y sont pour rien. C’est moi qui étais chargé de les emmener ce matin-là.

Ceci dit, j’étais sorti à l’heure. C’est à cause d’une inconnue que nous étions en retard : une jeune femme qui a garé sa voiture sur mon bateau. Ne pouvant pas sortir ma voiture, j’ai dû attendre qu’elle s’occupe de son urgence avant de m’occuper de la mienne… Elle est arrivée quelques minutes plus tard, faisant profil-bas, espérant que je ne l’engueule pas.

Je lui ai souri…

Elle a une excuse : nous venons d’emménager dans un beau pavillon qui n’a pas été habité depuis plusieurs mois. Les gens ont pris l’habitude de se garer devant ma grille pensant que ça ne dérange personne. C’est pourquoi j’ai souri à cette femme en la voyant courir vers sa voiture, toute confuse… En prime, je l’ai saluée en partant, toujours en souriant.

Mardi matin (donc le lendemain de l’incident), j’ai trouvé la même voiture sur mon bateau. Exactement la même ! Et quelques minutes plus tard, la même jeune-femme ! Enfin… Pas exactement la même, car elle était plus confuse que la veille.

En guise d’excuses, elle me dit :

– Excusez-moi, mais comme vous m’avez souri hier…

J’hallucinais : elle était en train de m’expliquer que comme j’étais quelqu’un de sympa, elle s’est dit qu’elle pouvait se garer sur mon bateau ! J’ai perdu mon sourire quelques secondes, puis j’ai souri plus largement, parce que c’était irrésistible… Et je lui ai lancé :

– J’ai souri parce que j’estime que vous avez droit à l’erreur !

N’allez pas croire que cette phrase n’est qu’une touche innocente d’un être complaisant qui vit dans un optimisme béat à longueur de temps. Car lorsque vous dites à quelqu’un qui vient de fauter qu’il a droit à l’erreur, vous lui glissez par la même occasion qu’il a fait une erreur ! Une erreur que cette inconnue n’avait pas reconnue, jusqu’à ce que je mette le doigt dessus. Même si la formule est positive, elle fait mouche… Je crois même qu’elle touche davantage.

Ce matin-là mes filles sont arrivées juste à l’heure, la Directrice, tout en fermant la grille derrière elles, me fit une grimace… Comment dire, une grimace euh… Tiens ! Vous avez vu le film Shining ? Voilà c’est ça : la tête de Jack Nicholson sur l’affiche ! J’ai failli récupérer mes filles, puis je me suis souvenu du fameux «transfert», et je me suis raisonné intérieurement : «Madame la Directrice n’est pas Jack… C’est toi qui la vois comme ça !».

Aujourd’hui matin, j’ai décidé d’emmener mes filles à pieds pour évaluer le chemin. Nous avons commencé à marcher et nous avons croisé la jeune-femme du début de l’histoire. Elle m’a dit timidement bonjour.

Le 20 mars, je ne dis pas «bonjour». Je dis «Joyeux Printemps !», ce qui n’a pas manqué de la surprendre. Elle revint sur ses pas et me dit :

– Monsieur, je voulais vous dire que ce que vous avez dit sur «le droit à l’erreur» m’a vraiment marquée ! On ne m’a jamais dit ça. En plus, vous n’êtes pas rancunier, et vous souriez tout le temps ! Comment vous faites ?

J’adore qu’on me complimente devant mes enfants ! Et encore plus quand on me pose des questions en leur présence, parce que je sais que lorsque je réponds, mes enfants écoutent et absorbent…

J’ai répondu ceci :

– Je fais des erreurs moi aussi, et souvent elles me permettent d’apprendre des choses. Alors je me donne le droit de faire des erreurs. Mais je ne peux pas être le seul à avoir ce droit, c’est pourquoi j’estime que vous aussi, vous avez le droit de faire des erreurs.

– Mais on n’entend pas ça souvent…

– Mais si ! Je l’entends très souvent ! A chaque fois que je dis «vous avez le droit de faire des erreurs», je l’entends ! Faites-le ! Vous allez voir…

Elle m’offrit son plus beau sourire. J’en ai profité pour enchainer :

– Pour le sourire c’est pareil ! Si vous voulez voir plus de gens souriants autour de vous, commencez par leur offrir votre sourire.

Au moment où j’ai prononcé cette phrase, je me suis rendu compte que lundi je n’avais pas souri à la Directrice, et que mardi mon sourire était mitigé… J’étais stressé par le temps ! J’ai donc résolu de lui sourire ce matin, et de lui souhaiter un Joyeux Printemps.

Et vous savez quoi ? Elle m’a souri ! Pas rancunière non plus…

Bon pour être tout à fait franc, son sourire ne m’a pas rappelé Sharon Stone dans «Basic Instinct». C’était plutôt quelque chose comme ça :

Comme quoi je dois encore faire des progrès !

Joyeux Printemps à tous !

Stéphane SOLOMON

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