Est-ce vraiment vous qui décidez ?

Le Docteur Dan Ariely a écrit un livre fascinant sur la prise de décision et ses différents biais. Je vous le recommande. il s’intitule :

C’est (vraiment ?) moi qui décide

Le titre original est «Predictably irrational», ce qui pourrait se traduire par «Irrationnel, mais tellement prévisible». Ceci-dit, le titre français est vraiment bien trouvé si on tient compte du contenu du livre qui démontre à quel point nos prises de décision sont sujettes à des règles qui n’ont rien à voir avec notre véritable Soi… Certaines de nos décisions ont été prises il y a 300 ans ! Nous avons l’impression d’y réfléchir, mais notre réflexion est canalisée par des paradigmes ancestraux. Les expériences menées par Ariely vous étonneront et vous amuseront. Si vous appréciez l’autodérision, vous vous reconnaîtrez dans bien des cas. Vous trouverez certaines situations ridicules en les lisant à froid, tout en admettant que vous les adoptez spontanément à chaud…

Soyons clairs : nous aspirons tous à vivre dans un monde de Bienveillance où les belles relations, intègres et agréables se multiplient et se maintiennent. Mais force est de constater que lorsque nous avons le choix entre une personne agréable et une personne stressante, nous voulons nous épargner la douleur du stress. Ce faisant, nous délaissons la personne agréable pour servir la personne stressante.

Prenons un exemple concret : Tiphaine travaille au Support technique d’une entreprise de téléphonie. Deux clients se plaignent d’une panne :

  • La première explique poliment et gentiment l’origine de la panne, de quelle façon elle se manifeste, et énumère les dommages qu’elle subit au quotidien de façon assertive (c’est-à-dire sans culpabiliser qui que ce soit). Ce qui compte pour elle, c’est de participer à la résolution du problème. Elle attend l’appel de Tiphaine dans la semaine.
  • La deuxième personne est très en colère ! Elle ne sait pas depuis combien de temps ça dure, mais ça n’a que trop duré ! Elle ne sait pas ce qui ne fonctionne pas, mais vu le prix qu’elle paye, ça devrait fonctionner ! Elle menace l’entreprise d’une très mauvaise publicité sur les réseaux sociaux, et si sa voix n’est pas entendue, elle ira jusqu’au procès afin de demander des dommages et intérêts pour la perte d’exploitation causée par tant de négligence… Elle appelle Tiphaine toutes les 2 heures !

A votre avis, qui Tiphaine servira-t-elle en premier ?

La réponse est facile, et lors du dernier sondage concernant l’ami-prêteur et la banque-prêteuse, 7 personnes sur 10 l’ont confirmée : sans travail sur soi, la propension naturelle est de rembourser en priorité celui qui provoque le plus de douleur.

C’est légitime : le but est de faire cesser la douleur le plus vite possible ! Certains diront même qu’en traitant le dossier épineux rapidement, cela laisse de la place à la relation agréable. Mais en pratique, plus une personne se montre réceptive à l’agressivité, plus on lui en servira. Une fois ce dossier terminé, un autre grincheux prendra le relai ! Je ne parle de mysticisme. Il y a au moins 3 raisons psychologique (donc logiques) liées à ce phénomène.

La «douleur» n’est pas forcément provoquée par l’agressivité. Si vous faites un tour dans les Associations caritatives ou dans les Services où l’Aide Sociale est une priorité, vous verrez que certaines personnes viennent expliquer calmement leur situation, tandis que d’autres se mettent à pleurer et tombent à genoux… Dans ce cas, la «douleur» est provoquée par l’empathie que ressent l’agent qui reçoit le malheureux. Sans formation solide, l’agent se mettra au service de l’homme à genoux en priorité, parce qu’il ressent sa douleur, et il sait qu’il peut l’atténuer. Or rien ne dit que dans les faits, l’homme à genoux mérite d’être servi avant la personne qui fait un effort incommensurable pour rester calme.

Le Triangle Dramatique…

Dans mon sondage, je présentais l’organisme de crédit comme un fournisseur qui vous vend un produit. Un produit sur lequel il fera un bénéfice comme tout commerçant. Puis, lorsque l’incident survient, j’explique dans l”noncé que l’organisme allait le gérer de façon froide. Mais à aucun moment je n’ai parlé de malveillance, ou d’un piège tendu volontairement. Les lettres de relance, aussi désagréables soient-elles, n’ont rien de personnel : c’est la procédure. Elle est rigoureuse, et cette fermeté comparée à la bienveillance de l’ami augmente le sentiment d’oppression. Mais ce n’est qu’un sentiment.

Or dans les commentaires laissés par certains participants, l’organisme apparaît comme «une machine à broyer» ! Un peu comme si en empruntant cet argent, vous ne saviez pas dans quoi vous vous engagiez. Nous passons d’une relation client-fournisseur à une relation bourreau-victime ! Tout ça pour 100€ de frais…

Ça n’en vaut pas la peine !

Dans mes coachings, j’ai tiré beaucoup de gens de leur sentiment victimaire. C’est un préalable à tout projet. Une victime n’avance pas ! Elle se morfond, elle tergiverse en cherchant des coupables (et elle en trouve à profusion), elle procrastine, et elle se complaît dans cette posture… Il faut plusieurs séances pour redonner à une victime la proactivité qui la tirera de sa torpeur. Et comme je facture 200€ la séance, le calcul est simple : si vous pouvez éviter de vous transformer en victime à cause d’une pénalité de 100€, vous réaliserez une sacrée économie !

Le coaching encourage la Responsabilité et l’Autonomie. En cas d’incident une personne autonome et responsable pose des actions correctrices qui permettent de retrouver un bon équilibre. La plupart de ces actions imprévues vont demander du courage, mais c’est bon l’équilibre… Dans notre contexte, un emprunteur autonome et responsable n’est pas censé se comporter en victime. Il n’est peut-être que partiellement Responsable, mais il ne s’agit pas de le déresponsabiliser en pointant du doigt un super-vilain. Dans cette histoire, transformer l’organisme en grand méchant loup est exagéré. En tout cas, ce n’était pas dans le scénario. L’organisme est là pour vendre un produit, et les pénalités font partie des options du produit.

En se transformant en Victime et en faisant de l’organisme un Bourreau. Il ne manque plus qu’un seul acteur : le Sauveur ! C’est le fameux «Triangle Dramatique» de Karpman… Et à qui allez-vous faire enfiler sa cape de Sauveur ? A l’ami bien-sûr ! Et c’est là qu’est le vrai drame, car l’ami n’a jamais voulu vous sauver. Il voulait vous AIDER !

Le scénario (l’énoncé qui précède la question du sondage) est clair : votre ami a une belle Confiance dans votre réussite et il vous prête 3.000€ parce qu’il croit en vous et en votre projet. C’est une transaction entre deux Adultes, et l’incident ne devrait pas la transformer en transaction Adulte/Enfant… L’expression française «Me voici votre débiteur» est très honorable du moment que ce sont deux Adultes qui échangent. Un débiteur est une personne volontaire qui rembourse sa dette avec gratitude. Pas un subordonné à la merci d’un puissant.

Un secret de coach

Je vais vous livrer un secret de coach expérimenté : à mois d’avoir été formé à la prise de décision et de disposer d’une bonne expérience, dans la plupart des cas, face à un dilemme, notre choix est fait quasi instantanément ! Si nous entrons dans un processus de prise de décision (et parfois une crise décisionnelle), c’est uniquement pour justifier ce choix… C’est comme si nous faisions semblant de prendre une décision ! Par exemple, une personne qui ne supporte pas l’idée de payer 100€ de pénalités, va peser le pour et le contre du dilemme présenté. Elle trouvera de faibles arguments pour prioriser l’ami, et des raisons incroyablement puissantes pour se plier à l’intransigeance de l’organisme de crédit. Durant cette construction, son imaginaire va l’aider à inventer des histoires dans lesquelles la Victime, le Bourreau et le Sauveur vont rapidement apparaître. Mais en réalité elle trompe tout le monde (à commencer par elle-même). Il n’y a là aucune prise de décision réfléchie, juste une validation d’un choix qui correspond à un style de vie (économe).

Mais alors, me direz-vous, le fait de prioriser la bienveillance est également un style de vie, et l’argumentation ci-dessus est une construction qui va dans le sens de ce choix. Vous trouverez toujours un triangle dramatique, un cercle vicieux ou un quadrature quelconque pour valider votre choix…

Oui ! Bravo ! Sauf qu’en ce qui me concerne, ce choix n’a pas 300 ans d’âge. C’est un choix récent, et c’est moi qui l’ai fait ! Il y a encore quelques années, comme 7 personnes sur 10, j’aurais priorisé l’organisme en me disant qu’un ami, c’est fait pour pardonner, et que s’il ne pardonne pas, ce n’est pas un véritable ami, et blablabla…

Ma proposition, dans le cadre de cet auto-coaching, est d’inverser cette tendance : de donner priorité à la Bienveillance, même si cela doit vous coûter du temps, de l’argent, et une certaine énergie pendant la période d’investissement. C’est une grande décision, car c’est un choix de style de vie et non un dilemme temporaire. Dans quelques années, peut-être même dans quelques mois, vous n’aurez plus besoin de faire d’efforts pour prioriser ce qui embellit votre vie, et surtout, vous cesserez de surévaluer le sentiment d’oppression en utilisant la «technique de création du grand méchant loup».

Mais là, j’anticipe sur mon prochain article…

A++

Stéphane SOLOMON

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